Introduction à la Prière de Jésus

La Prière de Jésus est un des plus impor­tants élé­ments de la spi­ri­tua­lité ortho­doxe; elle peut être consi­dé­rée comme la "perle pré­cieuse" de la spi­ri­tua­lité ortho­doxe: Le royaume de cieux est encore sem­blable à un mar­chand en quête de perles fines: en ayant trouvé une perle de grande prix, il s'en est allé vendre tout ce qu'il pos­sé­dait et il l'a ache­tée (Мф. 13:45-46). La Prière peut aussi être assi­mi­lée aux "cinq paroles" aux­quelles fait allu­sion Saint Paul: Je pré­fère dire cinq paroles avec mon intel­li­gence pour ensei­gner aussi les autres que dix mille paroles en langues (1Кор. 14:19) (en grec, la Prière est sou­vent com­po­sée de cinq mots).La Prière de Jésus fait par­tie inté­grante de la tra­di­tion spi­ri­tuelle hésy­chaste, dont les ori­gines remontent aux Pères du désert des IVe et Ve siècles. De nos jours, la Prière connaît une éton­nante popu­la­rité, non seule­ment parmi les ortho­doxes, mais aussi parmi les chré­tiens d'autres confes­sions. La Prière de Jésus est une tra­di­tion vivante qui peut mener aux som­mets de la vie spi­ri­tuelle - nous n'avons qu'à nous arrê­ter un moment sur la vie et les écrits de quelques saints russes des XIXe et XXe siècles, par exemple, Séra­phim de Sarov, Théo­phane le Reclus, Ignace Briant­cha­ni­nov et Silouane l'Atho­nite, pour être convain­cus de l'im­por­tance de la Prière de Jésus dans leur vie spi­ri­tuelle.

En Occi­dent, la Prière de Jésus est resté très long­temps incon­nue, comme d'ailleurs toute la tra­di­tion hésy­chaste, à cause de la sépa­ra­tion des Églises d'Orient et d'Oc­ci­dent et des contro­verses théo­lo­giques concer­nant l'hé­sy­chasme au XIVe siècle. C'est seule­ment au XXe siècle que l'Oc­ci­dent com­mence à s'in­té­res­ser à la spi­ri­tua­lité de l'Église d'Orient, mais dans un pre­mier temps la connais­sance de la tra­di­tion hésy­chaste est res­tée un pri­vi­lège de spé­cia­listes. En 1927, par exemple, le Père Iré­née Hau­sherr, jésuite fran­çais spé­cia­liste de la spi­ri­tua­lité orien­tale, a publié dans la revue romaine Orien­ta­lia chris­tiana une tra­duc­tion de La méthode d'orai­son hésy­chaste, texte ano­nyme concer­nant une approche psy­cho­so­ma­tique de la Prière de Jésus. L'in­tro­duc­tion du Père Hau­sherr pré­sente un sur­vol de quelques aspects de l'hé­sy­chasme, dont la Prière de Jésus, sur­tout dans le contexte des contro­verses hésy­chastes du XIVe siècles entre Orient et Occi­dent.

La Prière de Jésus a été décou­verte par un large public grâce notam­ment aux Récits d'un pèle­rin russe à son père spi­ri­tuel, parus pour la pre­mière fois à Kazan en Rus­sie vers 1870. Ce petit livre ano­nyme, his­toire simple des aven­tures et de la vie spi­ri­tuelle d'un pay­san russe du XIXe siècle en quête de Dieu, reste d'ailleurs une très bonne pre­mière prise de contact avec la Prière de Jésus. Le pèle­rin fait péné­trer le lec­teur au coeur de la cam­pagne russe peu après la guerre de Cri­mée (1854 - 1856) et avant l'abo­li­tion du ser­vage en 1861. On voit pas­ser les per­son­nages typiques de l'époque: pay­sans, fonc­tion­naires, com­mer­çants, arti­sans, nobles, membres de sectes, ins­ti­tu­teurs et prêtres de cam­pagne. Le pèle­rin s'ins­pire de la tra­di­tion hésy­chaste, guidé dans sa recherche de Dieu par un sta­rets (un "ancien") qui l'in­tro­duit à la Prière de Jésus, sa seule véri­table nour­ri­ture.

Dans un lan­gage simple et clair, le pèle­rin nous fait entrer dans l'ex­pé­rience spi­ri­tuelle au plus haut niveau que l'on asso­cie volon­tiers au renou­veau spi­ri­tuel de la Rus­sie au XIXe siècle, mou­ve­ment que l'on nomme par­fois le "renou­veau phi­lo­ca­lique", puis­qu'il a été lar­ge­ment ins­piré par la dif­fu­sion de la fameuse Phi­lo­ca­lie. En fait, le pèle­rin n'a que deux livres: la Bible et la Phi­lo­ca­lie. La Phi­lo­ca­lie des Pères nep­tiques, publiée en grec à Venise en 1782 et en sla­von à Mos­cou en 1793, est une antho­lo­gie d'écrits spi­ri­tuels cen­trés sur l'hé­sy­chasme et la Prière de Jésus, par les grands maîtres de la spi­ri­tua­lité de l'Église d'Orient entre le IVe et le XIVe siècle. Le mot Phi­lo­ca­lie veut dire en grec "amour de la beauté"; ici, la vraie beauté est la beauté spi­ri­tuelle: Où est ton tré­sor, là aussi sera ton cœur (Мф. 6:21). La Petite Phi­lo­ca­lie de la prière du cœur de Jean Gouillard est com­po­sée d'ex­traits de la grande Phi­lo­ca­lie concer­nant la Prière de Jésus.

La pre­mière tra­duc­tion fran­çaise des Récits d'un pèle­rin russe remonte à 1928, dans la revue Iré­ni­kon du monas­tère béné­dic­tin d'Amay en Bel­gique (devenu le monas­tère de Che­ve­togne). Cette pre­mière paru­tion modeste n'a connu qu'une dis­tri­bu­tion res­treinte et il faut attendre à 1943, en pleine guerre, pour une pre­mière publi­ca­tion dans le mar­ché com­mer­cial. La tra­duc­tion des Récits par Jean Laloy, écri­vant sous le nom de plume de Jean Gau­vin, est parue aux Édi­tions Nestlé à Neu­châ­tel et reprise depuis aux Édi­tions du Seuil.

C'est à la fin de années qua­rante que com­mencent à appa­raître des textes sur la Prière de Jésus écrits par des ortho­doxes et adres­sés, pour la pre­mière fois, à un public essen­tiel­le­ment non ortho­doxe, dans un but de dif­fu­ser et, en quelque sorte d'en­cou­ra­ger, la pra­tique de la Prière de Jésus. Il s'agit par exemple des articles de Nade­jda Goro­detski, "La Prière de Jésus" (1942), d'Éli­sa­beth Behr-Sigel, "La Prière de Jésus: Le mys­tère de la spi­ri­tua­lité ortho­doxe" (1947), et du livre du Père Lev Gil­let, le "Moine de l'Église d'Orient, La Prière de Jésus" (paru en anglais en 1950 et en fran­çais en 1951). Avec la publi­ca­tion des Récits d'un pèle­rin russe aux Édi­tions du Seuil en 1953 et la pre­mière publi­ca­tion de la Petite phi­lo­ca­lie de la prière du cœur la même année par les Édi­tions des Cahiers du Sud, c'est à par­tir de cette époque que la Prière de Jésus com­mence a être connue en dehors de son ber­ceau tra­di­tion­nel du monde ortho­doxe.

La forme exté­rieure de la Prière est très simple: elle consiste à invo­quer aussi fré­quem­ment que pos­sible le saint Nom de Jésus, habi­tuel­le­ment dans une for­mule rap­pe­lant les pro­fes­sions de foi de saint Pierre (Мф. 16:15) et de Marthe (Ин. 11:27), et la prière du publi­cain (Лк. 18:13): "Sei­gneur, Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur. "Son essence spi­ri­tuelle, comme l'ex­priment constam­ment les Pères spi­ri­tuels, est "la des­cente de l'in­tel­li­gence dans le cœur": ce que je com­prends avec mon intel­li­gence, je le sai­sis, je l'ac­cepte et je l'em­brasse avec tout mon être - avec mon cœur, dont le cœur phy­sique est le sym­bole. C'est ainsi que la Prière devient véri­ta­ble­ment la "Prière du cœur".

Par la puri­fi­ca­tion pro­gres­sive de la pen­sée et la mémoire constante du Sei­gneur, ceci abou­tit, selon les sta­rets, à l'illu­mi­na­tion de l'es­prit par la grâce divine et à la prise de conscience de l'in­ha­bi­ta­tion mys­tique du Saint-Esprit. Béné­fi­ciant d'un cer­tain degré de puri­fi­ca­tion, l'hé­sy­chaste peut aussi rece­voir le don de la prière pure - la prière "spi­ri­tuelle" ou contem­pla­tive - et de la prière per­ma­nente: Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Es­prit de son Fils qui crie: "Abba, Père!" (Гал. 4:6). La prière inin­ter­rom­pue doit être l'idéal de tout chré­tien, sui­vant l'ex­hor­ta­tion de Saint Paul: Priez sans cesse (1Фес. 5:17).

Les bio­gra­phies et les écrits de Saint Séra­phim de Sarov et de Saint Silouane l'Atho­nite nous rap­pellent que ces états mys­tiques de prière ne sont pas réser­vés à des époques loin­taines, mais sont tout proches de nous. L'hé­sy­chasme et la Prière de Jésus se trouvent en fait au "cœur" du renou­veau de la spi­ri­tua­lité ortho­doxe des XIXe et XXe siècles, renou­veau qui a pro­duit des grands saints, sur­tout parmi les sta­rets russes, et qui se pro­longe jus­qu'en Occi­dent.

En fin de compte, la Prière de Jésus est véri­ta­ble­ment une prière pour notre temps effréné, car elle est acces­sible par­tout, en tout temps, par tous.

La tra­di­tion ortho­doxe recom­mande que la Prière de Jésus se pra­tique dans un contexte pou­vant la sou­te­nir adé­qua­te­ment, notam­ment par la par­ti­ci­pa­tion à la vie sacra­men­telle de l'Église et par l'ac­cès aux conseils d'une per­sonne expé­ri­men­tée dans sa pra­tique. Ainsi, il est sou­hai­table d'y être ini­tié conve­na­ble­ment, de prendre connais­sance de quelques élé­ments-clés de son sens, de son his­toire et de sa pra­tique, ainsi que des obs­tacles et des dan­gers éven­tuels que l'on peut ren­con­trer à sa pra­tique. Car la pra­tique de la Prière de Jésus est trans­mise essen­tiel­le­ment de vive voix, d'une per­sonne déjà ini­tiée à un débu­tant. C'est pour cette rai­son que la pra­tique de la Prière de Jésus doit être entre­prise sous la direc­tion d'un père spi­ri­tuel ou dans le cadre d'un ensei­gne­ment sur la Prière de Jésus.

C'est dans cette pers­pec­tive que nous recom­man­dons la par­ti­ci­pa­tion à un ensei­gne­ment sur la Prière. En Europe, le Centre d'études et de prière Sainte-Croix (en Dor­dogne) offre régu­liè­re­ment des ses­sions sur la Prière de Jésus.

page­sor­tho­doxes.net